Quelques réponses…

Cher M. Roy,

je fais suite à notre échange e-épistolaire et Twitterien d’hier, dans lesquels vous avez apporté quelques critiques à mon article d’opinion publié récemment dans La Tribune, ainsi qu’à celui publié sur le site Presse-Citron.

Vous avez commencé notre échange en écrivant via votre compte Twitter :

“Le leitmotiv à la mode, mais des propositions faibles.

S’agissant de notre indépendance au niveau informatique, à laquelle on se réfère maintenant communément par l’appellation de “Souveraineté Numérique”, je suis ravi (pour une fois) d’être à la mode ! En effet, je suis engagé dans cette démarche depuis de nombreuses années, à vrai dire depuis même avant avoir lancé la première version de “Linux-Mandrake” en 1998. En effet, ce n’est pas un mystère que je suis engagé de très longue date pour le Logiciel Libre, et entre autres en réaction à Microsoft, dont, si je comprends bien, vous êtes un représentant si j’en crois votre titre sur LinkedIn : “Director Corporate Affairs chez Microsoft France”.

Concernant les propositions que je liste dans mon article, elles sont certes pour l’instant plus des pistes d’action et pas encore des propositions totalement détaillées. J’y travaille. Néanmoins je suis ravi que dans votre réponse vous sembliez en partager un grand nombre. Sauf sur quelques points auxquels je vais vous répondre dans la suite. Néanmoins, je me pose depuis hier une question : comment est-il possible qu’un “Director Corporate Affairs chez Microsoft France” puisse se sentir concerné par les questions de Souveraineté Numérique pour la France et l’Europe ? Microsoft, société américaine, est le “M” de “GAFAM” et reste, à mon sens, un dossier particulièrement problématique aussi bien pour notre Souveraineté Numérique que pour notre économie. Je cite volontiers à ce sujet Pierre Bellanger : “Les réseaux sociaux sont en Californie et les plans sociaux en Picardie”. On pourrait en faire des semblables avec les systèmes d’exploitation ou les moteurs de recherche, et le reste des régions françaises (même si je tiens à préciser que je pense que nous sommes responsables, du fait de notre aveuglement et notre inaction sur ces question depuis 40 ans).

Maintenant, voici quelques précisions que je souhaite apporter à la suite de vos réponses.

Concernant les infrastructures, je souligne l’importance d’un déploiement, très performant, très haut-débit, maillant nos territoires. Cet effort est engagé (fibre, 4G…) mais il reste très insuffisant et trop lent. Le réseau devient le nouveau pillier de l’économie, qu’elle soit numérique ou traditionnelle numérisée, c’est un enjeu majeur. Vous êtes d’accord mais écrivez “rien de nouveau”. Permettez-moi de penser néanmoins que le répéter, le réclammer, mettre cette problématique sous le nez des décideurs politiques et économiques tant que ce sera nécessaire ne me semble pas être un effort inutile. Et je constate que nous sommes relativement peu nombreux à réitérer cet effort.

Concernant “attirons les talents, renforçons notre recherche…”, vous écrivez “je ne connais personne qui n’approuve pas a priori”. Mais d’une part je pense au contraire que beaucoup sont résignés à ce sujet, et d’autre part que nous devons trouver des idées pour renforcer l’attractivité, pour mettre en place de nouveaux modèles pour le financement de la recherche, financement qui est très insuffisant. Ce seront des axes indispensables pour notre industrie numérique, nous devons nous organiser pour les réaliser.

Maintenant quand je propose de favoriser l’émergence d’acteurs majeurs du numérique et de l’industrie numérisée, vous écrivez “Intéressant”, puis “c’est à mon avis plus dans le développement de l’économie par le numérique plus que dans le développement de l’économie numérique que la France peut gagner.” Là mon poil se hérisse, vous l’imaginez : je ne peux m’empêcher d’imaginer la suite logique à ce discours : “nous serons heureux de vous équiper en solutions informatiques Microsoft (ou autre) pour ce projet”.

Non !

C’est là que nous sommes en désaccord complet : la souveraineté c’est précisemment la maîtrise complète des outils. Décider ce qu’ils sont, ce qu’ils doivent réaliser, comment ils fonctionnent dans leurs rouages les plus intîmes, être certain qu’ils offrent des garanties fortes en terme de sécurité et de protection des données personnelles. Nous ne pouvons pas faire confiance aux acteurs en place sur ces sujets, qui ont été impliqués et le sont probablement encore dans des programmes étrangers de surveillance massive et de guerre économique  : Microsoft a été un des premiers industriels à collaborer au programme de surveillance américain PRISM. D’autre part, nous souhaitons développer notre industrie des outils numériques, systèmes d’exploitation, services IT en ligne, pour renforcer notre économie et créer les emplois induits, sur notre continent européen.

Concernant ma suggestion d’utiliser le Logiciel Libre pour s’affranchir des logiciels proriétaires, vous me répondez “l’open source c’est fantastique et utile” et puis immédiatement derrière tous les arguments habituels du FUD Microsoft à propos du Logiciel Libre que j’ai lus maintes fois depuis 20 ans. Donc rien de nouveau à l’horizon, je persiste à penser qu’aujourd’hui la seule manière d’avoir des garanties sur le logiciel, et en particulier dans les services critiques et les administrations (afin d’éviter les problèmes d’intelligence économique), c’est d’utiliser du Libre. Son code source est ouvert, il peut être audité, débugué en cas de besoin. À nous d’inventer les business-models qui vont avec. J’ajouterais que nous avons besoin de mettre en place et de proposer, et là les Etats peuvent pousser dans ce sens, des algorithmes de chiffrement “sûrs”, et non pas influencés par la SEC (problème connu avec PGP et même SELinux).

Par ailleurs, il y a la question de la maîtrise d’Internet, que je n’ai pas traitée, et notamment de la main-mise des USA sur l’ICANN, qui reste très problématique.

Et donc oui, l’objectif est bien de contrôler les 7 couches OSI, de la même manière que nous controllons notre espace aérien et notre domaine maritime côtier. Je ne dis pas à ce sujet, comme vous l’évoquez, que la Chine ou la Corée du Nord sont des modèles à suivre, car s’y greffent des questions de libertés fondamentales qui ne sont pas respectées. Néanmoins, le modèle de la Chine est intéressant à observer car il est absolument lucide sur les enjeux, volontariste, et nous pouvons constater qu’économiquement il a du sens. L’Europe doit sans doute trouver un modèle intermédiaire, en phase avec ses valeurs.

Je passe sur les points de la nécessité de favoriser l’émergence de fonds d’investissement puissants et les points de sécurité intérieure, sur lesquels vous êtes d’accord, mais il me semble qu’il est indispensable de continuer à sensibiliser sur ces points, car tout reste à construire.

En ce qui concerne votre dernier commentaire, le coté legislatif me semble indispensable également, pour nous protéger en Europe. Je suis généralement tout à fait défavorable au protectionisme, mais je vous ferais remarquer que les américains, sous le masque de l’absolue vertue, le pratiquent dès que c’est nécessaire à leurs intérêts. A l’Europe de faire le contrepoids, et d’être dans une politique de “donnant-donnant”, et aussi de porter ses valeurs sur le droit, à tous les niveaux dans le numérique. Aujourd’hui, les GAFAM, sous couvert de conditions générales d’utilisation complexes et optimisées, et par des mécanismes d’optimisation fiscale permanente, contournent, voire s’assoient sur le droit Français et Européen dans le domaine du numérique. Je vous laisse prendre connaissance de l’excellent ouvrage d’Olivier Iteanu “Quand le digital défie l’Etat de droit” pour l’argumentation juridique.

 

 

 

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